Article écrit par Julie ROUX, Psychomotricienne D.E., titulaire d’un Master Santé Paris VI spécialité Didactique Personnelle, D.U. Psychomotricité du vieillissement. Elle exerce en libéral (91), est enseignante à l’I.F.P. ainsi qu’à l’I.S.R.P. de Paris.

Julie Roux est également formatrice à S’Pass Formation et anime la formation Pratique psychomotrice en gériatrie.

Gériatrie, gérontologie, géronto-psychiatrie, psycho-gérontologie… derrière ces termes se cachent de nombreuses personnes âgées, pour lesquelles ont été posés des diagnostics plus ou moins précis, diagnostics qui ont tendance à les enfermer dans une représentation médicale, figée et irréversible.

La pensée complexe aide à envisager ce processus de manière pluri-factorielle, permettant autant l’élaboration d’hypothèses cliniques que des perspectives d’accompagnement.

De l’impérieuse nécessité de comprendre plutôt que d’expliquer

La première question à se poser concerne le vieillissement en lui-même :

  • Comment le penser depuis le début de la vie ?
  • Quelles étapes sont traversées, et de quelle manière ?

La référence au développement psychomoteur et à son évolution est une des clés de compréhension du psychomotricien pour aborder la problématique psychomotrice chez le sujet vieillissant. En effet, la construction psychocorporelle, le vécu corporel des différentes étapes de vie, traumatismes, ruptures sont comme réactualisés dans cette dernière étape ; avec bien souvent des retours à celles qui n’ont pas été « résolues ».

C’est là une des manières de penser la désorientation de certaines personnes âgées au moment du bilan de leur vie, éloignant la thèse purement neurobiologique des « démences ».

La philosophie et la méthodologie de la Validation affective de Naomi Feil sont alors une aide précieuse à l’accompagnement de ces personnes, afin de réduire leurs souffrances et celles de leurs proches.

Une évaluation psychomotrice fine sera également un médiateur à la compréhension de la psychomotricité du sujet.

 

Les symptômes psycho-comportementaux des démences… Ces troubles qui nous troublent

Les troubles du comportement « perturbateurs », « non-productifs », sont autant de termes pour qualifier l’effraction psychique vécus par certains aidants professionnels et familiaux lors de manifestations comportementales des sujets vieillissants.

Là encore, la réponse a été souvent unique ou bien démesurée, comme au niveau de l’intensité de l’incompréhension, de l’impuissance ; quant le besoin est assez « simple » en tout cas humain et donc universel : celui d’être aimé, reconnu, respecté.

Chacun a sa propre conception de ces besoins et de la manière d’y répondre, les aidants en premier, projetant parfois leurs propres références sur les personnes qu’ils accompagnent.

  • La lecture psychomotrice du comportement du sujet âgé, avec l’évaluation de ces différentes composantes : kiné sphère, rapport à son propre corps, à celui des autres, aux objets, manières de déambuler, d’entrer en contact, …permettra de rendre intelligible cette communication non-verbale.
  • La mise en évidence des valeurs et des besoins poursuivis par celui-ci permettra de donner du sens à l’insensé.
  • Ceci permettra également d’apporter une autre dimension aux projets de soin et de vie des personnes accompagnées.

Focus sur un tableau psychomoteur : le syndrome de désadaptation psychomotrice (SDPM)

Autrefois appelé syndrome de régression psychomotrice ou syndrome post-chute, le SDPM est un des syndromes gériatriques les plus représentatifs de cette « décompensation » du développement psychomoteur. Il peut se manifester après une chute ou dans l’état avancé de maladies neurodégénératives ; traduisant à chaque fois une régression et une souffrance primitives.

Les outils spécifiques d’évaluation et d’accompagnement du psychomotricien permettent de prévenir ce tableau clinique en favorisant la conscience corporelle élaborée au cours du développement psychomoteur :

  • Les schémas d’extension, l’hypertonie oppositionnelle, les angoisses de liquéfaction traduisent une absence de limites, un manque de contenance qui peut être accompagné par différentes techniques d’enveloppement sensoriel.
  • La rétropulsion, manifestation de la sensation de vide physique, psychique et relationnel, se régule avec des appuis et une sécurité interne donnés par la charpente osseuse.
  • Et enfin, les rétractions, les agrippements, qui peuvent être compris comme les signes d’une angoisse de morcellement, gagnent à être accompagnés par les techniques de respiration, d’enroulement et de restauration de l’axe corporel.

En repassant et en respectant ces étapes de construction du Soi, de la verticalité, des différents espaces et de l’enveloppe corporelle, il est à compter que les troubles du schéma corporel, signes de cette désorganisation, se réguleront.

L’acception médicale des « démences », la vision uniquement déficitaire, fait signer au sujet âgé son « arrêt de vie » lorsque le diagnostic est annoncé ; le regard sur le sujet va alors changer en l’espace d’un instant.

En tant que psychomotriciens, nous proposons de participer – autrement – à ce changement de regard, celui du sujet et de ses aidants, en valorisant les ressources et capacités de résilience de la personne âgée, vivante et debout devant nous, malgré toutes ces épreuves.

Pour cela, la mémoire procédurale, la mémoire corporelle et émotionnelle, piliers de la thérapie psychomotrice en sont de formidables alliés.

 

Bibliographie

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