Dans son numéro 3814-3815 (semaine du 08 au 21 août 2024), le journal l’Express vient de publier un dossier à charge contre la psychanalyse (hormis la contribution de Clotilde Leguil qui le clôt), dossier intitulé « Faut-il en finir avec la psychanalyse ? » et coordonné par Stéphane Benz, Victor Garcia et Thomas Malher.
- Premier article : « Faut-il en finir avec la psychanalyse, passion française ? »(signé par trois collaborateurs);
- Deuxième article : « Sur le divan de la science » (signé par Victor Garcia).
- Troisième article « Freud, Lacan, Dolto et les autres » (signé par Jacques Ran Rillaer), Professeur Emérite de l’Université de Louvain, co-auteur du « Livre noir de la psychanalyse » en 2005 et auteur des « Désillusions de la psychanalyse » en 2021.
- Quatrième article « Que dit la psychanalyse de nos rêves ? » (signé par Laurent Berton.
Il fait écho, bien entendu, au film de Sophie Robert Le Mur qui, en 2011, avait défrayé la chronique et qui avait d’ailleurs été censuré du fait de sa malhonnêteté foncière.
Ce dossier très partial me semble appeler quelques commentaires.
Premier commentaire : si la psychanalyse était véritablement morte, il ne serait point nécessaire de l’attaquer régulièrement dans la mesure où chacun sait qu’il est parfaitement inutile et vain de tier sur les cadavres !
En dépit de ce que proclament les médias et de ce que croient nombre de politiques mal informés et souvent guidés par un clientélisme foncier, la demande de traitements psychanalytiques (cure-type, ou dérivés) demeure très forte dans la population générale et pas seulement en France, tant s’en faut.
Deuxième commentaire : la psychanalyse n’est pas une science expérimentale, elle fait partie des sciences humaines dites narratives au même titre que l’histoire à laquelle on conteste pourtant beaucoup moins une authentique légitimité scientifique. Autrement dit, la psychanalyse ne s’intéresse pas aux causes premières des troubles ou des désordres psychiques, mais aux significations que peuvent prendre pour un individu donné les évènements de sa vie, afin de l’aider à ne pas en être prisonnier.
Vouloir comparer la psychanalyse aux neurosciences et notamment aux sciences cognitives est donc une erreur épistémologique de fond.
Comment peut-on comprendre alors ces attaques répétées contre la psychanalyse ?
Les attaques contre la psychanalyse ont été très fortes au cours des dernières décennies contre la psychanalyse dans l’autisme.
Il faut bien se rendre compte en réalité que ces attaques masquent mal une attaque contre la psychanalyse en général, attaque qui, elle même, masque mal une attaque contre le soin psychique au profit de techniques plus rééducatives ou comportementales.
Finalement, ce sont les sciences humaines qui se trouvent attaquées, alors même qu’elles contribuent depuis longtemps à la réputation de nos universités, et il est clair que s’en prendre aux sciences humaines est extrêmement dangereux. Car il y va de notre liberté de penser, ni plus, ni moins !
Troisième commentaire : l’intolérance est toujours le fruit de l’inculture.
Le débat entre psychanalystes et neuroscientifiques est parfois tout à fait fructueux au sein d’une véritable transdisciplinarité aujourd’hui possible, mais il est rendu difficile, car si les psychanalystes peuvent assez facilement se documenter sur les avancées des neurosciences, à l’inverse, les neuroscientifiques n’ont guère le temps et le loisir de s’intéresser aux questions passionnantes que la psychanalyse leur pose.
Qu’en est, par exemple, des liens entre l’oubli et le refoulement ?
Qu’est est-il des liens entre l’accès à l’intersubjectivité et les processus de subjectivation ?
La société internationale de psychanalyse, sous l’égide de Mark Solms, s’attelle à rendre possible un tel dialogue, qui suppose cependant un respect mutuel et réciproque entre les scientifiques appartenant à des disciplines différentes, mais désireux de s’entre-interroger sans confusion ni amalgame entre des champs épistémologiques distincts.
Quatrième et dernier commentaire enfin : quoi qu’en pensent les détracteurs de la psychanalyse, son efficacité est amplement prouvée, mais faut-il encore accepter d’admettre ce que l’on voit.
Comme le disait Simone de Beauvoir : « le principal fléau de l’humanité n’est pas l’ignorance, mais le refus de savoir ».
Toutes les recherches sont désormais disponibles, qui démontrent l’efficacité si ce n’est la supériorité de la psychanalyse, par rapport aux autres mesures d’intervention, et notamment les thérapies cognitivo-comportementales, qui n’ont pas d’effets durables à long terme dans la majorité des cas.
Quelqu’un comme le Professeur Bruno Falissard a souvent parlé de cet aveuglement stupéfiant de nombre de scientifiques à ce sujet.
En réalité, la véritable discussion n’est pas de savoir ce qui est le plus efficace, mais qu’elle est la technique qui convient le mieux à tel patient : « What for who ? », en quelque sorte.
Pour conclure, je dirai que les résistances envers la psychanalyse sont inévitables, puisqu’elle vient nous révéler une partie de nous, qui pourtant nous échappe, à savoir l’inconscient.
Ces résistances sont aussi anciennes que la psychanalyse elle-même.
Cela étant, il n’y a pas que le scandale du corps et du sexuel.
Il s’y ajoute aujourd’hui un culte de l’immédiateté et une véritable difficulté à accepter le temps qu’il faut pour penser.
Ce refus vaut, me semble-t-il, comme une preuve d’infantilisme, et pourtant l’intelligence artificielle ne supplantera jamais le divan…
Professeur Bernard Golse, Institut Contemporain de l’Enfance, www.icenfance.org